« Bloody Frenchies, so arrogant ! » « Les asiatiques, on ne sait jamais ce qu’ils pensent … » « Ach Quatsch, vous êtes touchours en retard vous autres latins. »
Là, je vous l’ai jouée courte, mais c’est fou le nombre de poncifs qu’on entend dès lors qu’on parle d’interculturel ou de multiculturel… Avec de telles perceptions, il ne faut pas s’étonner que les projets internationaux, les services transfrontaliers ou les négociations à l’étranger soient considérés comme compliqués, source d’irritations et à résultats variables.
Alors que la réalité peut être très différente …
Tout d’abord, comme on le verra plus loin, les obstacles ne sont pas si difficiles à lever que cela. Ensuite, pour peu qu’on sache se débarrasser des a priori négatifs, les bénéfices sont énormes, tant pour l’organisation que pour les individus qui la composent.
Vous me direz : « facile à écrire, mais comment faire ? ». Réponse en 3 actes …
Acte 1 – Démystifier la notion de « multiculturel »
La différence peut nous faire peur, notamment lorsqu’elle nous renvoie vers un modèle où l’unicité n’est pas la règle, bien au contraire. Dit autrement, notre culture, ou même ce que nous sommes chacun individuellement n’est pas forcément la seule ou la meilleure solution. Savoir accepter cette multiplicité sans le prendre comme une remise en cause de notre légitimité demande une bonne dose de confiance en soi.
Or, en manque de confiance, nous tendons vers 2 types de réactions (le bon vieux fight or flee) :
- travailler à améliorer cette confiance, ce qui demande temps et efforts ;
- faire disparaitre la différence, source de cette remise en cause : on l’ignore, la minimise, la dénigre, etc. Il suffit souvent pour cela d’un mot, d’un regard ou d’un geste.
Je vous laisse deviner quelle est la solution la plus souvent choisie …
La définition Larousse du « multiculturel », cohabitation de plusieurs cultures, suggère que dans un contexte multiculturel le nombre et la variété des différences soient démultipliées …. Notre peur des différences s’en trouve naturellement exacerbée, et s’en suit ainsi un accroissement logique des réactions défensives ou négatives dont nous avons parlées plus haut.
Pourtant, au quotidien, nous parvenons à accepter moult différences (de goûts, d’horaires, d’humour, de compétences, de météo, de générations, etc.), et donc il n’y a pas de raisons que nous n’arrivions pas à accepter et vivre avec cette multiplication des différences.
A condition toutefois de comprendre les défis spécifiques qui en découlent et d’en connaitre les clefs de succès associées
Acte 2 – Connaitre les défis d’une situation impliquant du « multiculturel »
Le premier défi qui vient à l’esprit est la barrière de la langue. Ne pas connaitre ou maitriser la langue des gens avec qui on travaille ou « chez qui » on déploie un système, une procédure, un projet est certainement une contrainte majeure. D’autant que savoir parler une autre langue ne donne pas forcément accès à tous les « non-dits », « sous-entendus » et autres implicites ….
La notion de temps est notre deuxième défi, certainement un des plus fluctuants. Chez certains, être « à l’heure » (début ou fin) est une marque de respect incontournable. Pour d’autres, le temps passé sera bien plus important. Avec les impacts qu’on imagine sur la tenue des réunions ou le respect des échéances projet !
Le troisième défi porte sur le lien à l’autorité. Challenger son patron ou le responsable d’un projet est accepté dans certaines cultures car cela est vu comme source d’amélioration potentielle, mais le risque de se transformer en conflit est réel. Ailleurs, l’autorité est toute puissante, garantissant le respect de l’approche prônée mais prohibant pour le coup toute initiative d’amélioration.
Le dernier défi évoqué ici, car on pourrait en évoquer d’autres, se situe dans le rapport à l’autre, et plus particulièrement l’approche collective vs la considération individuelle. Faut-il toujours privilégier la réussite du groupe au détriment parfois de l’épanouissement et du développement individuel ? Doit-on chercher à embarquer chaque personne dans un projet quitte à « perdre » du temps ?
Il existe certainement de nombreuses clefs pour répondre à ces défis du multiculturel. Mais elles diffèrent dans leur efficacité et leur facilité de mise en œuvre ….
Acte 3 – Savoir actionner les bonnes clefs
Dans notre expérience, à condition de les prendre dans le bon ordre, les 4 clefs suivantes s’appliquent à presque toutes les situations. Prenons par exemple le déploiement dans la filiale chinoise d’un référentiel de management déployé d’abord au siège en France
Clef 1 – Une posture d’humilité, d’ouverture, de tolérance : c’est LA condition de base. Elle permet de comprendre et d’accepter les différences, et de les intégrer. Dans notre exemple, cela veut dire accepter de remettre en cause certains des éléments du référentiel et son mode de déploiement ; choisir des formateurs chinois ; etc.
Clef 2 – Se donner le temps nécessaire : oser résister à la pression des délais ; savoir investir plus de temps dans la préparation et la mise en œuvre. Dans notre exemple, cela consiste à rajouter dans le planning projet des temps de formation des formateurs chinois.
Clef 3 – Rechercher un « langage commun » : on ne parle pas ici de langue, mais d’un référentiel commun entre les personnes concernées, qu’il porte sur les comportements, les systèmes ou les pratiques. Dans notre exemple, cela veut dire construire un référentiel sur des comportements identifiables par tous ; un choix de mots existants dans toutes les langues ; un support compréhensible par tous (des images, des symboles, etc.) ; etc.
Clef 4 – Identifier les universels acceptables (au sein d’une même organisation, dans un même service, dans un projet) et les incontournables locaux : cela nécessite un temps de co-construction avec les différents acteurs. Dans notre exemple, plusieurs sessions de travail en amont avec des représentants de toutes les filiales pour revoir le référentiel de façon à pouvoir le déployer dans ces filiales.
Tout ce travail sur les défis et les clefs de succès en vaut-il vraiment la peine ?
Oui, absolument.
D’abord, parce que réussir à bien gérer une situation impliquant du « multiculturel » est très valorisant. On en ressort grandi en tant qu’être humain et conforté dans nos capacités à bien appréhender la complexité d’une situation.
Et ensuite, parce que ce sont des situations sources d’enrichissements multiples :
- pour l’entreprise, grâce à la multiplication des compétences et des sources d’innovation ;
- pour les salariés, en offrant une mobilité professionnelle élargie, des possibilités d’apprentissage innombrables ;
- à titre personnel, par l’accès à d’autres cultures, d’autres langues, d’autres rencontres …
Donc plus d’hésitations : jetez vous à l’eau ! Take the plunge ! Beißen Sie in den sauren Apfel ! Tomar el toro por los cuernos ! …
Ayant la chance d’avoir la double nationalité franco-anglaise, je suis passionné par les questions multiculturelles. J’ai passé 16 ans à l’étranger, dont 8 à Montréal pour Optim Canada, où je m’y suis spécialisé sur les questions de Développement Durable et de RSE. Depuis 2013, je suis basé à Rennes et j’interviens sur des mandats de Management ou d’Excellence Opérationnelle, en France comme à l’international, avec la volonté de toujours rester très pragmatique.