Un industriel s’aperçoit qu’il va devoir faire passer 2 fois un produit dans l’étuve car le vernis n’est pas complètement sec et cela provoque des problèmes de qualité. Le contrôleur de gestion s’écrie alors :  « Arrêtez de vendre ce produit ! Avec cette nouvelle opération, la marge devient négative !! »

« On perd de l’argent en vendant ce produit ». Combien de fois avez-vous entendu cette phrase ou une de ses variantes au détour d’un couloir, d’une conversation ou en réunion ? Pour nous, à chaque fois le plaisir reste entier : d’intenses frissons nous parcourent l’échine, nos mâchoires se crispent ne laissant s’échapper un petit rictus, au coin des lèvres.

Alors pourquoi ? Qu’est-ce qui pousse des managers compétents à penser qu’un produit ou qu’une ligne de produit perd de l’argent aussi fréquemment, et pourquoi cela provoque des réactions allergiques chez les Optimien.nes et les « TOCqués » du monde entier ?

Il existe une cause racine principale à ces phénomènes : la comptabilité analytique et son principe d’allocation.

Le but d’une entreprise étant de gagner durablement de l’argent*, la comptabilité répond à un besoin d’information et ce depuis le début des échanges commerciaux : « combien d’argent a gagné ma société, avec quel retour sur investissement ?»

Pour cela, on calcule un résultat net, différence entre le chiffre d’affaires de l’entreprise et la somme des coûts engagés pour concevoir et produire. Un problème de taille émerge lorsque l’on veut identifier les produits les plus contributeurs, les marges peuvent être exprimées par produit, mais pas le reste des dépenses d’exploitation. Nous sommes alors au début du 20ème siècle, les dépenses de main d’œuvre directe sont largement supérieures aux frais généraux (loyers, ventes et marketing, fonctions support, …). Basé sur cette hypothèse, la comptabilité analytique créer le principe d’allocation : il est possible de répartir les dépenses d’exploitation par unité de produit fabriqué puis vendu et donc de calculer un coût complet pour un produit en particulier.

Les frais généraux des entreprises ont ensuite progressivement augmentés pendant que de son côté, le coût de la main d’œuvre direct diminuait, au gré des avancées technologiques. Aujourd’hui, les frais généraux représentent entre 20 et 30% des coûts en fonction des industries. Plus marquant encore la proportion de la main d’œuvre directe représente aujourd’hui moins de 30% du total des coûts dans l’industrie manufacturière et moins de 15% dans le retail. Très loin des proportions du début du 20ème siècle !

Certains produits semblent faire perdre de l’argent à l’entreprise à chaque fois qu’ils sont vendus une fois qu’on leur a alloué leur part des frais fixes. Arrêter ces produits pourrait faire sens si les frais fixes alloués pouvaient effectivement être stoppés en même temps que les ventes. Cependant les frais fixes portent ce nom à juste titre.

La plupart du temps, lorsqu’un produit est effectivement arrêté, les machines, la flotte de véhicules et les bâtiments ne sont pas vendus, les fonctions supports ne sont pas réduites et donc la plus grosse part des frais fixes reste intacte. Une fois cette décision prise, une spirale infernale démarre : les frais fixes sont répartis sur moins de produits, ils font donc augmenter la part allouée aux produits restants, de nouveaux produits passent à « marge négative », ces derniers sont alors arrêtés, et ainsi de suite. La même spirale est à l’œuvre dans les décisions make/buy de nombreuses entreprises : « on peut l’acheter chez un concurrent le même produit à un prix inférieur à notre coût de revient ».

Il existe évidemment des cas dans lesquels un produit perd effectivement de l’argent, en réalité un seul cas : si le prix de vente est inférieur aux coûts strictement variables, ce qui arrive bien moins souvent que l’occurrence de la phrase : « On perd de l’argent en vendant ce produit ».

Le Throughput Accounting s’oppose au Cost Accounting sur ce point particulier entre autres. Le Throughput est le débit auquel l’entreprise génère de l’argent par les ventes, il est la différence entre les ventes et les frais strictement variables (matières premières, sous-traitance, commissions aux vendeurs, douanes et transport). Le Throughput Accounting permet également de prendre en compte la valeur créée par temps de contrainte utilisée, intégrant de fait le sujet capacitaire à l’analyse**. C’est la question que le contrôleur de gestion de notre introduction ne s’est pas posée : l’étuve est-elle machine goulot ? Si oui, il faut alors arbitrer pour choisir le mix produit qui permet de dégager le plus de valeur, si non à moins qu’un produit ait un Throughput négatif, hors de question d’arrêter de le produire et de le vendre, il participe à absorber les frais fixes de l’entreprise !

Vous nous entendez souvent utiliser l’image d’un avion faisant Paris NewYork rempli à 70%. Avec la méthode des allocations, lorsque vous bradez les places vides sur lastminute.com, vous avez l’impression de perdre de l’argent puisque vous vendez en dessous du coût complet de la place d’avion.

Et pourtant … ne vaut-il pas mieux ajouter 50€ à la valeur créée par le voyage ? Ce que les compagnies aériennes ont compris reste malheureusement souvent peu accepté dans nos entreprises industrielles (et malheureusement aussi peu pour nos compagnies ferroviaires).

La spirale infernale « allocation → arrêt de produits → nouvelle allocation → nouveaux arrêt de produits… » provoque la mort lente de pans entiers d’activités, des impacts humains dévastateurs et représente le plus grand drame de l’allocation des frais fixes. C’est la raison pour laquelle nous espérons que vous partagerez maintenant notre aversion pour cette phrase devenue banale. Il vaut toujours mieux sortir par le haut en augmentant le Throughput que par le bas en essayant de diminuer les coûts, et ce même (et surtout) face à un marché déprimé !

 

 

*Au sens de la TOC et de son créateur, Eli Goldratt. Le But d’une entreprise au sens d’Optim intègre d’autres éléments, par exemple notre But est le suivant : ‘‘Optim, entreprise pérenne qui place l’humain au centre, créer et partage de la valeur de manière responsable’’.

**On peut également considérer dans ces analyses d’autres types de contraintes, Throughput par impact carbone par exemple, au lieu du traditionnel Throughput par minute de ressource contrainte.